Posté: 13 juillet, 2016
Hospitalité : Que signifie offrir l’hospitalité en tant que disciples du Christ ?
En septembre 2015, des photographies choquantes publiées dans les médias ont sensibilisé le monde occidental à la crise des réfugiés. Consciente de l’importance de cette question, la communion anabaptiste mondiale propose les réflexions suivantes sur le sens de l’accueil de l’étranger, spécialement lorsque des personnes d’une origine religieuse différente de la nôtre s’installent dans notre quartier.
L'édition d'avril 2016 de Courier / Correo / Courrier explore les raisons pour lesquelles les communautés anabaptistes du monde entier se réunissent pour former la CMM. Dans les articles qui suivent, les auteurs réfléchissent à la question : Comment l’amour du Christ nous motive t-il et nous guide t-il pour aller vers les étrangers dans notre contexte local ?
Un ministère d'hospitalité intégral
Un texte : Voici quelles furent leurs fautes [ta sœur Sodome et les localités voisines] : elles ont vécu dans l'orgueil, le rassasiement et une tranquille insouciance ; elles n'ont pas secouru les pauvres et les défavorisés. (Ez 16:49, BFC).
Un récit : Un réfugié se plaignait amèrement à Dieu parce qu'on ne l’avait pas laissé entrer dans une église. Dieu lui répondit : « Ne sois pas malheureux. Ils ne me laissent pas entrer non plus.»
J’utilise ce passage biblique et cette petite histoire comme référence pour partager mon propre témoignage.
La Colombie, où je vis, connaît un conflit interne depuis une soixantaine d’années ; c’est le dernier en Occident. Avec plus de cinq millions de personnes déplacées, elle a le deuxième taux le plus élevé au monde de personnes déplacées à l'intérieur d’un pays (selon les Nations Unies) plus un autre million de réfugiés dans d'autres pays. Vingt-cinq mille morts violentes se produisent chaque année, des milliers de personnes disparaissent et sont enlevées, et le gouvernement colombien admet que le nombre total de victimes est de plus de six millions.
S'il y avait du pétrole en Colombie, ou que des multinationales aient un intérêt économique dans notre conflit, une telle situation sociale figurerait dans les bulletins d’informations des États-Unis, du Canada et d’Europe. Les églises anabaptistes du Nord en auraient entendu parler.
Accusations et incertitude
Après avoir vécu pendant de nombreuses années à Bogota, en 1986, ma femme, nos quatre enfants et moi avons déménagé dans une petite ville appelée San Jacinto, dans le nord du pays, dans la région des Caraïbes.
Nous y avons acheté une ferme, du matériel agricole et des véhicules, et nous avons vécu de mon travail de juriste, de l'agriculture et du journalisme. Nous avons soutenu l’engagement social des campesinos (paysans ou petits fermiers) de la région.
En raison de mon travail avec les campesinos, j’ai été accusé d'être un idéologue de la guérilla. Le commandant de la police locale, et plus tard un groupe paramilitaire dénommé ‘Mort aux kidnappeurs’ (c’est-à-dire, aux guérilleros), ont commencé à me persécuter et me menacer régulièrement.
En mars 1988, l'armée nationale colombienne et la police ont uni leurs forces pour attaquer notre maison. Les menaces de mort ont augmenté. Nos amis nous évitaient. Les banques ne voulaient plus nous servir. La vie est devenue insupportable. Ces menaces de mort nous ont contraints à déménager dans la ville voisine de Cartagena, perdant ainsi tout ce que nous avions acquis par notre travail.
À Cartagena, nous avons été accueillis par l'un de mes oncles. Avec le soutien de l'église mennonite, nous avons construit dans sa cour un petit logement pour nous, en attendant que l'orage passe.
Mais la situation des personnes déplacées, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, est très difficile. Elles laissent derrière elles leur environnement familier, leurs amis, les membres de leur famille, leur travail, leurs affaires, leur culture, et leur réputation. En outre, elles arrivent dans un contexte inconnu, menaçant et inhospitalier, rempli de préjugés.
Avant, on est considéré comme une personne intègre, et tout à coup, on est soupçonné de terrorisme et de crimes divers, ce qui terrifie les autres. On vit soudainement dans un climat de peur, non seulement en raison du déplacement, mais parce que tous les gens qui nous entourent – amis, parents et membres d’églises – craignent d’être confondus avec l'ennemi, déclarés ‘objectifs militaires’, et donc menacés et attaqués.
La peur qui envahit les autres est ce qui affecte le plus les personnes déplacées : cette peur paralyse et empêche d’être accueillants et solidaires. Beaucoup de membres d’églises voudraient être accueillants, mais ils ont une famille, de jeunes enfants, des dettes, et ont peur de mettre en danger leur vie et de menacer la stabilité de ceux qui dépendent d’eux. Ils disent que s'ils étaient seuls, ils donneraient leur vie pour vous aider, mais que dans cette situation, cela serait irresponsable et injuste pour leurs enfants.
En juillet 1989, nous sommes revenus à Bogota, nous : un couple et quatre enfants déplacés et menacés, abattus, mais pas vaincus. Nous sommes arrivés dans une ville vivant dans la crainte du terrorisme, des morts-vivants mendiant à chaque carrefour, des petits garçons et des petites filles abandonnés dans les rues, une délinquance galopante, avec des zones de pauvreté, de racisme et de discrimination.
Le gouvernement a utilisé l'excuse de la guerre pour supprimer la plupart des libertés civiles et chaque jour, il y avait des raids et des détentions arbitraires dans la ville et dans le pays. La méfiance et la peur régnaient. L'ancien stratège chinois Sun Tzu a dit : « La guerre est l'art de la duperie » ; et le politicien américain Hiram Johnson a ajouté « où la vérité est la première victime ». Il est donc difficile de faire confiance à quelqu'un et même de croire en Dieu.
Un abri et un accueil
Cependant, aujourd'hui, ma famille et moi sommes en vie grâce à une action décisive d’un groupe de l’église mennonite de Teusaquillo (à Bogotá), dont Peter Stucky est le pasteur. Bien qu'ils aient de jeunes enfants et d’autres personnes sous leur responsabilité, ils ont surmonté la peur d’être stigmatisés et d'être vus comme des partisans de la guérilla, ils se sont organisés pour nous accueillir de telle sorte que nous avons retrouvé assez d'énergie pour éveiller notre faculté de résilience et guérir.
C’est quand nous pratiquons cette forme d'hospitalité intégrale que la malédiction de Sodome est brisée et que ces paroles de Jésus deviennent réalité : « Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire ; j'étais étranger et vous m'avez accueilli chez vous […] Je vous le déclare, c'est la vérité : toutes les fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » (Mt 25:35-40, BFC).
Mais cela ne s’est pas arrêté là. Ce concept de l'hospitalité intégrale s’est élargi. Personne n'a été exclu et il y avait toujours une place pour l'étranger, le voyageur et celui qui souffre. Le concept d'hospitalité intégrale a ouvert les portes de l'église et donné naissance à un ministère de soutien pour les centaines de personnes déplacées qui sont arrivées, après avoir perdu leurs biens et tout espoir. « Le réfugié [ou déplacé] est un messager du malheur, apportant avec lui l'image, l'odeur et le goût de la tragédie de la guerre, du génocide, des massacres, de la perte de sa maison à cause de la violence. » (Javier Jurado, membre de l’Association Arjai, une initiative d’étudiants en philosophie).
Ce ministère de l'église mennonite de Teusaquillo fonctionne depuis de nombreuses années à Bogotá. Des centaines de personnes ont été aidées et réconfortées ; certaines ont été parrainées par l'Église mennonite du Canada et aujourd'hui elles jouissent d'une vie tranquille dans ce pays. Ce ministère s’est également étendu à la ville de Quito (Équateur), et des centaines de Colombiens à la recherche d’un asile sont accueillis.
Créer et maintenir un ministère comme celui-ci, ouvert à tous, d‘où qu’ils viennent, peu importe ce qu'ils croient, quelle que soit leur idéologie politique, que leurs persécuteurs soient guérilleros ou paramilitaires, c’est prendre un grand risque. Parfois, des membres de l’assemblée la quittent. Cependant, nous sommes convaincus du lien entre l’enseignement de Jésus et le droit d'asile. Cela renforce la communauté et lui donne de nouveaux responsables ouverts à l'hospitalité.
C’est gratifiant de faire partie d’une église de paix historique anabaptiste où nul réfugié ne se plaindra à Dieu de s'être vu refuser l'entrée ; comme Job, nous pouvons dire : « L'étranger ne passait jamais la nuit dehors, puisque ma porte était ouverte au voyageur. » (Job 31:32, BFC).
?Ricardo Esquivia Ballestas est membre de l'Église mennonite colombienne. Il est avocat et a plus de 45 ans d'expérience dans le travail pour la paix à partir d’une communauté ecclésiale de base. Il est directeur de Sembrandopaz (Planter des graines de paix) et travaille avec les groupes revenant dans les Caraïbes colombiennes.
Cet article est paru pour la première fois dans le numéro d'avril 2016 de Courier/Correo/Courrier
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